Mystic River (Arte) - La tragédie shakespearienne selon Clint Eastwood

Rédigé le 23/11/2025
Julien Barcilon

En 2003, dans la foulée de son  Créance de sang, adapté d’un polar de Michael Connelly Clint Eastwood s’empare cette fois du roman Mystic River , signé par  Dennis Lehane , un autre maître du genre, pour nous ciseler un drame d’une noirceur abyssale. Culpabilité, fatalité, justice : ses thèmes de prédilection accompagnent ce voyage au bout de la nuit qui nous prend aux tripes, avant de nous laisser K.O. « Dès la lecture du livre, j’en ai aimé l’histoire, qui tenait à la fois du mystère policier, de la tragédie antique et du drame shakespearien », raconte l’acteur-cinéaste, 73 ans, à la sortie du long-métrage. 

Clint a de nouveau confié l’adaptation à Brian Helgeland , scénariste du remarquable L.A. Confidential , de Curtis Hanson, qui confie : « En voyant le film achevé, j’ai été impressionné par son courage de réalisateur. Clint ne vous donne vraiment aucun espoir, le public ne peut trouver aucun réconfort. Seul quelqu’un de la trempe d’Eastwood peut se permettre ça. » Une histoire d’amitié et de ténèbres, un film lourd de rêves perdus, d’innocences broyées, de larmes versées ou tues.

Lorsqu’ils étaient gosses, Jimmy, Sean et Dave faisaient les 400 coups. Un jour, Dave a été embarqué par de faux policiers : après quatre jours de sévices sexuels, il est parvenu à s’échapper, mais une partie de lui est morte. Vingt-cinq ans plus tard, Katie, la fille aînée de Jimmy, ex-caïd reconverti en patron de drugstore, est retrouvée assassinée. Ce drame réunit le trio marqué à jamais par la tragédie. Devenu inspecteur de police, Sean se retrouve chargé de l’enquête. Quant à Dave, hanté par le passé, il végète et n’est apaisé que lorsqu’il s’occupe de son fils de 10 ans. Comme pour le western, qu’il s’est plu à déconstruire en flinguant les clichés de la conquête de l’Ouest, Eastwood détourne ceux du polar, ici prétexte à « une fresque intimiste sur la perte de l’innocence de trois Américains ordinaires et la fatalité à laquelle ils ne peuvent pas échapper, embarqués, malgré eux dans l’inévitable marche du destin ». La grandiloquence de Clint le taiseux est ici à son max. « Ce jour-là, nous sommes montés tous les trois dans la voiture », confirme Sean qui vient de résoudre l’affaire… 

ACTEURS ET RÉALISATEURS 

Tous les acteurs rêvent de travailler avec le dernier géant de Hollywood. Une fois encore, les pointures se bousculent. Sean Penn dans le rôle du père vengeur, Kevin Bacon, dans celui du flic et Tim Robbins pour interpréter le fragile Dave. Trois acteurs chevronnés qui sont aussi réalisateurs, ce qui, selon Eastwood, était ultra « reposant ». D’eux-mêmes, ils ont répété ensemble en amont du tournage pour construire la complicité du trio. Pratique et effcace, le cinéaste n’aime pas multiplier les prises. En deux, c’est dans la boîte. L’excellence en prime : Sean Penn a reçu l’ Oscar du Meilleur acteur et Tim Robbins celui du meilleur Second rôle . Seule note légère dans cette plongée dans les eaux noires de la rivière Mystic, la présence en boutiquier volubile d’Eli Wallach, l’inoubliable Tuco dans Le Bon, la Brute et le Truand, de Sergio Leone, avec lequel Clint s’était lié sur le tournage, en 1966. On prend la bouffée d’oxygène. 

Mystic River, dimanche 23 novembre à 21h00 sur Arte