Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Thomas Rochelet : Je m’appelle Thomas Rochelet, j’habite en région parisienne, à Moret-Loing-et-Orvanne. J’ai commencé le patinage artistique à l’âge de 10 ans. À 19 ans, je suis passé du monde amateur, donc de la compétition, aux spectacles. J’ai travaillé pour des compagnies comme Holiday on Ice, sur les bateaux de croisière avec Royal Caribbean, à Europa-Park en Allemagne… J’étais patineur de couple et soliste.
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Comment est venue ta reconversion ?
Après le Covid, j’ai commencé à penser à une première reconversion. Pendant deux ans, j’ai travaillé en tant qu’entraîneur de patinage. J’ai passé mon diplôme d’entraîneur, un DEJEPS, puis je me suis spécialisé en chorégraphie de patinage. Mon boulot, c’était de chorégraphier les programmes de compétition de patineurs nationaux et internationaux. En parallèle, je travaille toujours avec une compagnie événementielle qui produit aussi des spectacles de patinage l’hiver. J’y suis chorégraphe également.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de changer de voie ?
En janvier 2023, ma vie a un peu basculé. J’en avais marre de ce que je faisais, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de tout ce que je voulais accomplir dans le patinage. Je voulais explorer de nouveaux horizons, et c’est là que je me suis dirigé vers le cirque. Le cirque a toujours été présent autour de moi : mes parents m’emmenaient voir beaucoup de spectacles quand j’étais enfant. C’étaient des périodes que j’attendais avec impatience, "le" moment de l’année. Au départ, je voulais aller au Canada pour me former en sangles aériennes, une discipline qui m’attirait énormément, et créer un numéro qui combinait patinage artistique et sangles. Je n’étais pas du tout parti pour faire une reconversion complète en tant qu’artiste de cirque.
Comment s’est passée ton arrivée à Montréal et ta formation aux sangles ?
J’ai déménagé à Montréal en janvier 2023. Mon entraîneur là-bas, William Bonnet, a pris en charge ma formation. Je me suis entraîné avec lui via des cours privés et en autodidacte. Je ne suis pas du tout passé par une école. Au bout de quelques mois, il a vu que mon niveau progressait assez vite. Il m’a dit : "pourquoi tu ne lâcherais pas les patins pour tenter une vraie reconversion et te lancer en sangles, en tant que sangliste à part entière ?" C’était effrayant, parce que le cirque, comme le patinage ou la gym, c’est une discipline qu’on commence très tôt, pas à 27 ans (rires). Mais c’est quelqu’un en qui j’ai totalement confiance. C’est le genre de personne dont tu sais qu’il a raison sans pouvoir l’expliquer (rires). Il avait cette vision extérieure que je n’avais pas du tout. Je lui ai fait confiance, et ça a porté ses fruits.
Par exemple ?
Un an et demi après avoir commencé les sangles, j’ai travaillé avec le Cirque du Soleil, pour la Fashion Week de Paris. Ensuite, j’ai enchaîné avec différentes petites compagnies de cirque. Puis j’ai été invité aux auditions de Canada’s Got Talent . Ça s’est très bien passé, j’ai eu quatre "oui", mais je n’ai pas été envoyé aux étapes supérieures. Et le lendemain de la diffusion de l’épisode, un membre du casting de La France a un incroyable talent m’a écrit pour me demander si j’étais intéressé par l’émission.
Tu regardais l’émission avant d’y participer ?
Bien sûr ! La France a un incroyable talent , c’est une émission que je regarde avec ma mère depuis pas mal de temps. C’est quelque chose qu’on partageait ensemble. J’étais assez petit quand on a commencé à la regarder. Forcément, il y avait toujours ce : "Et si, un jour, j’y participais ?" mais je ne voyais pas comment, parce qu’en tant que patineur, ils n’allaient pas mettre de glace sur le plateau (rires)…
Tu as un profil très atypique pour le cirque. Comment as-tu réussi à te démarquer ?
Le patinage m’a énormément aidé à me différencier. Ma spécialité en sangles, ce sont les spins : tout ce qui tourne très vite. Cette qualité vient clairement du patinage. Mon professeur a tout de suite vu que c’était là que je me débrouillais le mieux. On a donc ciblé ce point-là. On s’est beaucoup inspiré des figures et des codes du patinage pour les retranscrire dans les sangles. Aujourd’hui, ça me donne un style très particulier, complètement unique. J’ai beaucoup travaillé les lignes, la forme du corps, l’esthétique, et évidemment la technique. On me dit souvent que je me démarque par ma qualité artistique et la fluidité de mes mouvements. Je pense que c’est ce qui a interpellé plusieurs personnes.
"À partir du moment où tu as un Golden Buzzer, tu es très attendu"
Tu t’attendais à un Golden Buzzer, qui plus est d'Eric Antoine ?
Absolument pas ! Pour moi, c’est même au-delà d’une consécration. Je ne vais pas dire un miracle, mais presque (rires). Déjà, il n’y a pas beaucoup d’artistes de cirque qui se présentent à ce genre d’émission et qui obtiennent un Golden Buzzer. Ça va souvent à des chanteurs, des danseurs, des humoristes… En aérien, il n’y en a pas énormément. Quand c’est arrivé, j’avais l’impression d’être dans un rêve. À la base, je venais pour tenter de passer en quarts de finale, c’est tout. Quand j’ai vu Eric Antoine se lever, je me suis dit : "Non, il a juste mal aux jambes" (rires). Puis, je l’ai vu s’approcher du centre de la table, et là tout est passé au ralenti. Quand il a appuyé sur l’étoile dorée et que les confettis sont tombés, je me suis demandé si c’était réel.
Ta famille était présente ce soir-là…
Ma famille n’avait jamais vu ce que je fais en cirque. C’était une première ! Je cumulais donc plusieurs pressions : bien faire, être sur la scène de La France a un incroyable talent, et performer devant mes proches. Ma mère ne m’avait pas vu sur scène depuis 2018 en patinage. Le fait qu’on se retouve tous dans ce théâtre, et qu’en plus il y ait le Golden Buzzer, ça a rendu la journée vraiment mémorable. Ma mère était déjà heureuse que je participe à l’émission. On la regardait ensemble quand j’étais petit, et moi, je suis parti à l’étranger à 19 ans, donc on avait perdu ce rituel… Elle connaît tout de l’émission, elle me donnait même des conseils sur les jurés (rires). Voir le Golden Buzzer en vrai, c’était très émouvant pour elle aussi.
Obtenir un Golden Buzzer, ça met une pression supplémentaire pour la suite ?
Oui, clairement. À partir du moment où tu as un Golden Buzzer, tu es très attendu… Le niveau ne peut qu’augmenter. Tu ne peux pas revenir avec une performance égale ou en dessous.
Et puis tu as envie que le juge qui t’a donné le Golden Buzzer soit fier de toi, qu’il ne le regrette pas. C’est toujours présent dans un coin de ma tête, même encore aujourd’hui en préparant la finale… J’espère que ça plaira à Éric Antoine et qu’il ne sera pas déçu.
"Il faut savoir que j’ai tout le temps peur"
Tu ressens un certain syndrome de l’imposteur ?
Oui, je l’ai, surtout dans le milieu du cirque… Je suis encore "jeune" dans cette discipline. Il y a le fait de se faire une place, de se faire respecter par les autres… Quand j’ai commencé à Montréal, c’était un peu : "D’où il débarque, lui ?". Ce genre de réactions existe mais le Golden Buzzer, la sélection au Festival Mondial du Cirque de Demain, le fait que l’émission se passe bien… Tout ça m’ajoute de la crédibilité et enlève petit à petit ce syndrome. Ça me prouve que j’ai ma place, que je suis là où je suis censé être. Mais sur le moment, quand j’ai eu le Golden Buzzer, j’étais vraiment en mode : "Pourquoi moi ?". Il y avait d’autres artistes aériens que je connaissais, absolument incroyables.
Sur scène, tu es suspendu haut, avec une vraie prise de risque. Comment tu gères la peur ?
Il y a un énorme dialogue intérieur. Il faut savoir que j’ai tout le temps peur. Quand tu es aérien, tu dois toujours être conscient que tu es dans les airs, parfois à 10 mètres au-dessus du sol. Sur La France a un incroyable talent, on n’était pas à 10 mètres, mais l’idée est la même : il y a toujours une possibilité de chute. Avant d’entrer sur scène, je suis terrifié. Et je le dis à voix haute : "Je suis terrifié, je suis terrifié". Ça me permet de mettre des mots sur ce que je ressens, de libérer l’émotion. Une fois que c’est dit, la pression retombe et je me sens mieux pour performer.
Les compliments d’Hélène Ségara et Marianne James sur ton corps et ton art t’ont beaucoup marqué ?
Oui, parce que c’est dur à entendre, dans le sens où je suis très perfectionniste et rarement satisfait. Les gens remarquent des choses que moi je ne vois pas. Quand Hélène Ségara me dit que je suis une œuvre d’art, que je suis sculpté comme une statue, et que Marianne ajoute que les statues se sont inspirées de moi, ça fait évidemment du bien. Je l’ai reçu et chéri, je ne l’ai pas pris à la légère. Mais c’était presque overwhelming, je me sentais submergé. Je ne pensais pas mériter autant de compliments. Je ne cherche pas la perfection du physique, mais celle de ce que je fais dans les airs. Ce qu’elles m’ont dit est vraiment très beau, et j’en suis reconnaissant.
Au moment des délibérations, après autant d’éloges, tu te sentais confiant pour la finale ?
Non, il y avait toujours une grande crainte. Le niveau des autres candidats était tellement élevé. Tout le monde a fait des numéros splendides. Quand on nous met en ligne, à la fin, et qu’ils appellent les noms, je fais le compte dans ma tête. Je fais partie des derniers à être appelés… Je vois passer les noms, je me dis : "Il en reste 8… 7… 6…". Quand le duo Emyo et Herwan sont appelés, je me dis que c’est mort et qu'il n’y aura jamais trois aériens en finale… Et là, j’entends mon nom ! C’est une libération totale. Tu accumules la pression, puis d’un coup, tout se relâche. Ça veut dire qu’ils veulent me revoir en finale, que je peux terminer l’aventure de A à Z. Peu importe le résultat final, le simple fait d’y être, alors que ça ne fait même pas trois ans que je fais des sangles, je me dis que ce n’est déjà pas si mal (rires).
Sans tout dévoiler, qu’est-ce que tu peux dire sur ton numéro de finale ?
Ce sera beaucoup plus axé sur une démonstration de souplesse, pour montrer que je ne fais pas que des choses très techniques, mais que je suis aussi très souple. C’est quelque chose que je n’ai pas encore vraiment montré dans l’émission. Je vais aussi remettre une de mes signature moves que j’ai déjà faite pendant le parcours, histoire de boucler la boucle et de finir en beauté. Le thème et la musique seront très différents, parce que je tenais à proposer un univers nouveau à chaque passage.
Tu es aussi sélectionné pour le Festival Mondial du Cirque de Demain. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
C’est un honneur incommensurable ! C’est un peu comme les championnats du monde du cirque, tu représentes ta nation, tu fais deux passages devant les juges, il y a des médailles et des prix qui sont attribués. C’est le festival de cirque le plus prestigieux au monde. Chaque année, il y a plus de 500 candidatures, et on est une trentaine, grand maximum, à être sélectionnés. Rien que ça, sur un CV, c’est énorme. Évidemment, on y va pour essayer de décrocher une médaille. Pendant le festival, il y a beaucoup de recruteurs, notamment du Cirque du Soleil, qui est la compagnie avec laquelle j’aimerais travailler à temps plein. Souvent, les artistes repartent avec des contrats… Et si tu as, en plus, une médaille, tu peux prétendre à de meilleures conditions et tu t’imposes vraiment dans le milieu. Ce qui se passe cette année, entre La France a un incroyable talent et le Festival, c’est dingue pour moi ! Je ne m’attendais pas à vivre les deux la même année. C’est une énorme charge émotionnelle, mais c’est une double mise en lumière qui peut changer beaucoup de choses.

